Pour Benjamin Caniard, responsable du pôle autonomie à la FHF, à l’heure d’une offre en perpétuelle évolution, la question de la coopération entre Ehpad autonomes n’est plus une option. D’où la nécessité pour les directeurs d’établissements de « proposer leurs propres règles », à l’image du GCMS Grand Lille, présenté par son administratrice, Caroline Ruget.
Mais cet encouragement se fait de plus en plus pressant, avec une évolution: si auparavant l’objectif numéro 1 était de faire des économies d’échelle, s’y ajoute désormais la nécessité de s’adapter pour mieux structurer l’offre, comme le faisait déjà remarquer la Conférence nationale des directeurs d’établissements publics pour personnes âgées et handicapées (CNDEPAH)
en 2020.
« Depuis 10-15 ans, on est passé d’une logique où on se regroupait
dans une logique d’efficience et de gains économiques, à une logique où le coeur c’est le projet, et même, le coeur, c’est l’adaptation de l’offre, les opérateurs publics ayant un rôle à jouer là-dessus », a pointé Benjamin Caniard, responsable du pôle Autonomie à la Fédération hospitalière de France (FHF), le 20 juin au congrès Autonomie de la fédération organisé à Lille.
« Sur les 1.200 et quelque Ehpad publics autonomes en France, un peu plus de 600 sont dans une logique de coopération », estime-t-il. La fédération « essaie de recenser ces groupements existants au niveau [national] pour voir ce qui existe derrière, car il y a parfois un bel emballage et pas forcément tant de projets », a-t-il ajouté.
Pour expliquer que certains établissements ne franchissent toujours pas le pas, il a rappelé qu' »au départ, les outils de regroupement sont facultatifs ». Or, « la culture de l’établissement autonome reste forte chez les D3S [directeurs d’établissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux], même si on observe un vrai changement de culture, depuis 10-15 ans, illustré aussi par le paysage des postes qui sont offerts ».
« Avant, quand un directeur sortait d’école, il avait le choix entre un établissement autonome et un établissement autonome. Aujourd’hui, les trois quarts des postes sont des postes d’adjoints, ceux de chefs d’établissement sont [moindres] et souvent sur un, deux ou trois établissements », a poursuivi le représentant de la FHF.
« On sent aussi dans la jeune génération une culture partenariale beaucoup plus forte. »
Enfin, « le métier a aussi énormément changé », a ajouté Benjamin Caniard, avec « une grande technicité: on demande à un directeur d’Ehpad d’être spécialiste finances, spécialiste RH, spécialiste partenariat… »
Des GHT et des GCSMS « complémentaires »
Interrogé sur la distinction entre les Ehpad autonomes et les Ehpad hospitaliers, membres, eux, de groupements hospitaliers de territoire (GHT), et sur un potentiel nouveau « silotage », il a répondu que les GHT et
les groupements de coopération sociale et médico-sociale (GCSMS)peuvent être « complémentaires ». Ainsi, un Ehpad membre d’un GHT peut être aussi membre d’un GCSMS correspondant à « des bassins de vie différents ».
« Après, le lien, on le fait automatiquement entre le GCSMS et le GHT », sous réserve d’avoir « une convention et un partenariat fort entre les [deux groupements]. Ce qui compte, c’est aussi que les membres du GCSMS conventionnent avec la filière gériatrique », a-t-il fait observer.
Benjamin Caniard a aussi été interrogé sur la façon de « valoriser » les directeurs qui s’engagent dans un tel dispositif, et notamment la question du salaire.
« On a un statut qui n’aide pas: un directeur qui est sur une direction commune n’a pas d’intérêt à passer à une fusion » car « il perdrait du salaire », a-t-il reconnu.
« Cela fait partie des mesures portées par [la FHF] pour promouvoir les démarches de coopération. Après, ce dispositif devient aussi facteur d’attractivité pour certains directeurs. »
« Il y a l’idée de faire confiance aux directeurs et d’avoir cette souplesse, avec la conviction à la FHF que si les acteurs publics ne s’organisent pas, on le fera pour eux, donc autant qu’on puisse proposer des règles du jeu qui puissent convenir à nos objectifs et à nos missions », et notamment « travailler sur l’offre et pas uniquement sur le gain d’efficience ou la question de la taille critique », a-t-il insisté.
« La souplesse, c’est aussi le choix de la taille du territoire: il y a des GCSMS des villes et des GCSMS des champs, mais on peut imaginer que le regroupement se fasse à une encore plus petite échelle, dès lors qu’on est en capacité de proposer une offre de proximité. »
« Le maître-mot aujourd’hui, c’est la préservation de notre autonomie »
Lors de la table ronde, Caroline Ruget, directrice des Ehpad de Bondues et Mouvaux, en direction commune, a présenté le groupement de coopération médico-sociale (GCMS) Grand Lille, créé en 2012, qui intègre 31 Ehpad autonomes, et qu’elle administre.
« C’était avant tout une histoire d’envie de travailler ensemble. En 2010, on avait déjà des partenariats, mais peu structurés. On a pris conscience de la nécessité presque vitale de se regrouper, qu’on allait devoir s’armer et se renforcer collectivement pour faire face à un environnement en pleine mutation et être davantage force de proposition, avec le sentiment qu’on avait des choses à dire et à faire », a-t-elle relaté.
« Le maître-mot aujourd’hui, c’est la préservation de notre autonomie, dans un environnement en perpétuelle évolution. J’insiste vraiment sur cette question de l’autonomie car on a conscience d’être à la tête de petites structures mais avec une capacité à s’adapter à une prise de décision rapide, avec des circuits très courts », a-t-elle souligné.
« Déjà, à l’époque, on a acheté ensemble, développé des communautés de pratique et mis en place des groupes de travail sur des sujets communs. »
Après la phase de structuration, soutenue par l’agence régionale de santé (ARS) Hauts-de-France à hauteur de 105.000 euros, cette même ARS est venue « nous challenger pour qu’on passe un cap ». Et « en 2020, on a pris conscience qu’il y avait un vrai virage à prendre, avec la mise en place de notre centre de services partagés », a poursuivi Caroline Ruget.
Auprès de Gerontonews, en marge du congrès, elle a précisé que ce centre de services comporte plusieurs « cellules »: RH, finances, communication marketing, achats-marchés publics et qualité-gestion des risques.
« Cela fonctionne à l’inverse d’un siège social: ce sont les directeurs d’Ehpad qui décident de tout en assemblée générale tous les mois et le centre de services se met à leur service. »
Cette entité porte aussi un centre de formation, certifié Qualiopi, visant à former les salariés des Ehpad adhérents au GCMS par d’autres salariés dans une logique de « pairs ». Cela permet de « générer des recettes », a-t-elle aussi dit lors de la table ronde.
Le groupement souhaite d’ici fin 2022 lancer un cabinet de conseil, qui lui aussi entraînera des recettes, « pour s’entraider sur la base de nos expertises propres, que l’on a à tous les niveaux dans nos établissements ».
L’objectif est d’ouvrir aussi à plus long terme « une cellule d’analyse des prospectives ». Elle comprendra « du contrôle gestion, du benchmark et surtout, une remontée de données du terrain pour que les politiques s’en emparent », le GCMS constituant « un échantillon parlant, pertinent et représentatif ».
Concernant la nouvelle orientation sur l’évolution de l’offre, le GCMS Grand Lille est « en ordre de marche dans le cadre de l’appel à projets
Ehpad centre de ressources’« , a indiqué son administratrice à Gerontonews.
« Le centre de services partagés vient en appui technique pour monter les projets, on a une plateforme qui ne fait que de l’ingénierie de projet. »
« Juridiquement, le GCMS ne peut pas être centre de ressources mais cela peut être un ou plusieurs Ehpad [adhérents]. L’objectif, si un, deux ou trois Ehpad étaient retenus, c’est d’avoir des perspectives de déploiement: en gros, on expérimente, et si ça marche, on le déploie sur le GCMS [entier] et sur tout le territoire du GCMS », a détaillé Caroline Ruget.
« La juste proximité établie ensemble est l’un des facteurs de réussite »
Interrogée sur les différentes formes de coopérations possibles, Aline Queverue, directrice départementale du Nord à l’ARS a insisté sur l’importance du « projet », indiquant que « la forme juridique est secondaire ».
Elle a dit regarder en priorité « ce que les acteurs osent faire ensemble ».
Pour le GCMS Grand Lille, « des directeurs ont osé rencontrer l’agence et expliquer un projet complètement atypique à l’époque, dans une démarche volontariste, avec un besoin collectif de partage ».
L’ARS « a essayé de les accompagner en ingénierie et à évoluer dans leur structuration ».
« Ce que j’entends aussi, c’est que [le groupement] est un processus durable, continu », a poursuivi Aline Queverue. Et au-delà d’être un soutien pour les adhérents et de peser davantage pour répondre à des appels à projets, il engendre « une culture commune ».
C’est aussi une façon d’aller sur des aspects de « qualité », et sur « comment avoir des réponses de territoire, sur le numérique » par exemple, « la juste proximité établie ensemble [étant] l’un des facteurs de réussite ».
Aline Queverue a ajouté que le regroupement visait aussi un « tricotage fin de terrain dans la proximité des acteurs sur la prise en charge ».
Concrètement, les personnes âgées allant de l’hôpital à l’accueil de jour en passant par l’hébergement temporaire, « c’est à l’offre de s’adapter à leurs besoins, et avec le Covid, la logique de parcours nous a explosé à la figure ».
« La crise a poussé encore plus le phénomène d’évolution, qui est celui de l’émergence d’un territoire. Le parcours fait émerger un territoire », a résumé la représentante de l’ARS Hauts-de-France.